Contexte
Les saignements de nez sont des hémorragies très fréquentes, touchant en majorité les enfants ou les personnes de plus de 60 ans. Ils s'arrêtent habituellement d'eux-mêmes ou en comprimant simplement le nez avec les doigts, bien qu'un petit nombre d'entre eux nécessitent des soins médicaux. Il s'agit soit de cautériser (sceller) le vaisseau hémorragique, s'il est visible, soit de tamponner l'intérieur du nez avec un matériau qui crée une pression et arrête le saignement ("soins habituels"). Des saignements se poursuivent parfois malgré ces mesures ou recommencent après avoir été initialement maîtrisés. Cela peut entraîner un séjour hospitalier prolongé et éventuellement d'autres procédures telles qu’un nouveau tamponnement avec un autre type de mèche hémostatique ou une opération.
L'acide tranexamique est un médicament connu pour favoriser la coagulation sanguine en empêchant un processus naturel appelé fibrinolyse (dissolution d'un caillot). Il est déjà utilisé dans un certain nombre de situations où l’hémorragie fait l’objet d’une préoccupation importante, notamment après une chirurgie cardiaque ou un traumatisme important. Il peut être administré par la bouche (par voie orale), directement sur la zone de saignement (par voie locale) ou par injection dans une veine (par voie intraveineuse).
Caractéristiques de l’étude
Nous avons recherché des essais contrôlés randomisés portant sur des patients de tout âge présentant un saignement de nez nécessitant une intervention. Les patients ont reçu de l'acide tranexamique (en plus des soins habituels), un placebo, un autre agent utilisé pour arrêter le saignement ou n’ont reçu aucun traitement. Nous avons trouvé six études qui répondaient à nos critères d'inclusion, avec un total de 692 participants. L'acide tranexamique a été utilisé dans deux études par voie d’administration orale et par voie d’administration locale dans quatre autres études. Tous les participants aux études étaient des adultes. Trois des six études ont été menées il y a plus de 20 ans.
Résultats principaux
Trois études ont mesuré la reprise des saignements en l’espace de 10 jours. Lorsque nous avons combiné les résultats, nous avons constaté qu’il y avait moins de patients ayant reçu de l'acide tranexamique par voie orale ou locale qui ont présenté des épisodes de saignements répétés à la suite d’un saignement de nez initial, comparativement à ceux ayant reçu les soins habituels.
Le temps nécessaire pour arrêter le saignement initial (saignement maîtrisé en 30 minutes) a été mesuré dans quatre études. Dans trois études, la proportion de patients dont le saignement a cessé en 10 minutes était significativement plus élevée dans le groupe recevant l'acide tranexamique par voie locale que dans le groupe recevant un autre médicament (épinéphrine et lidocaïne ou phényléphrine par voie locale). Dans l'autre étude, aucune différence significative n’a été observée à 30 minutes lorsque l'acide tranexamique par voie locale était comparé au placebo.
Aucune étude n'a fait état de la proportion de patients nécessitant une intervention supplémentaire (p. ex. nouveau tamponnement, chirurgie).
Une seule étude sur l'acide tranexamique administré par voie orale a fait état de la proportion de patients ayant eu besoin d'une transfusion sanguine, et aucune donnée probante n’a indiqué une différence entre les groupes.
Deux études ont fait état de la durée du séjour hospitalier. Une étude a fait état d'une durée de séjour significativement plus courte dans le groupe recevant l’acide tranexamique par voie orale, tandis que l'autre étude n'a trouvé aucune donnée probante indiquant une différence concernant la durée du séjour.
Des "effets indésirables" ont été signalés dans cinq études. Dans aucune étude il n'a été observé de différence entre les groupes quant à l'apparition d'effets indésirables mineurs (p. ex. nausées et diarrhées légères, "mauvais goût" du gel). Dans une étude, un patient a développé une thrombophlébite superficielle (inflammation et caillot sanguin dans une veine près de la surface de la peau) des deux jambes après sa sortie, mais il n'a pas été indiqué dans quel groupe de traitement cet événement eut lieu. Aucun événement indésirable grave n'a été observé dans ces études.
Qualité des donnée probantes et conclusions
Dans l'ensemble, le risque de biais était faible dans les six études. La qualité des données probantes pour le critère de jugement principal (contrôle de l'épistaxis : saignements répétés en l’espace de 10 jours) a été évaluée comme moyenne, ce qui signifie que des recherches plus poussées sont susceptibles d'avoir un impact important sur notre niveau de confiance dans l'estimation des effets et de modifier cette estimation. Compte tenu de ce qui précède et du fait que les "soins habituels" ont évolué depuis la réalisation de trois des études incluses, du fait du développement de techniques de cautérisation et de tamponnement nasal plus modernes, le rôle de l'acide tranexamique dans le traitement des patients atteints d'épistaxis demeure incertain. Des recherches plus récentes sur les effets de l'acide tranexamique dans le traitement des saignements de nez permettraient d'éclairer les futures décisions concernant la prise en charge de cette affection.
Les données probantes contenues dans cette revue sont à jour jusqu'en octobre 2018.
Nous avons trouvé des données probantes de qualité moyenne indiquant que l'utilisation d'acide tranexamique par voie orale ou locale en plus des soins habituels réduit probablement le risque de saignements répétés chez les patients adultes atteints d'épistaxis par rapport au placebo associé aux soins habituels. Cependant, la qualité des données probantes concernant uniquement l'acide tranexamique par voie locale était faible (une seule étude), de sorte que nous ne savons pas si l'acide tranexamique par voie locale est efficace ou non pour arrêter les saignements en l’espace de 10 jours après une seule application. Nous avons trouvé des données probantes de qualité moyenne indiquant une meilleure efficacité de l'acide tranexamique par voie locale par rapport aux autres agents topiques pour arrêter le saignement dans les 10 premières minutes.
Il n'y a eu que trois ECR sur ce sujet depuis 1995. Depuis lors, les techniques de cautérisation et de tamponnement nasal ont fait l’objet d’évolutions importantes (par exemple, des techniques telles que l'endoscopie nasale et des méthodes plus invasives comme la ligature endoscopique de l’artère sphéno-palatine). De nouveaux essais nous informeraient sur l'efficacité de l'acide tranexamique à la lumière de ces développements.
L'épistaxis (saignement de nez) touche le plus souvent les enfants et les personnes âgées. La majorité des épisodes sont gérés à domicile à l’aide de mesures simples. Dans les cas plus graves, une intervention médicale est nécessaire pour cautériser le vaisseau saignant ou pour tamponner le nez avec divers matériaux. L'acide tranexamique est utilisé dans un certain nombre de contextes cliniques pour arrêter le saignement en empêchant la destruction des caillots (fibrinolyse). Il peut jouer un rôle dans la prise en charge de l'épistaxis en tant qu'adjuvant aux traitements standards, réduisant ainsi le besoin d'une intervention plus poussée.
Déterminer les effets de l'acide tranexamique (par voie orale, intraveineuse ou locale) par rapport à un placebo, à tout autre agent hémostatique, ou à l’absence d’intervention supplémentaire dans le traitement des patients atteints d'épistaxis.
Le spécialiste de l'information ORL de Cochrane a effectué des recherches dans le registre d’essais du groupe Cochrane sur l’otorhinolaryngologie (via l’outil CRS Web) ; le registre central des essais contrôlés (CENTRAL) (via l’outil CRS Web) ; PubMed ; Ovid Embase ; CINAHL ; Web of Science ; ClinicalTrials.gov ; ICTRP et dans d’autres sources afin de trouver des essais publiés et non publiés. Elles ont été effectuées le 29 octobre 2018.
Essais contrôlés randomisés (ECR) portant sur l'acide tranexamique (en plus des soins habituels) par rapport aux soins habituels et un placebo, aux soins habituels seuls ou aux soins habituels associés à tout autre agent hémostatique, pour contrôler l'épistaxis chez l’adulte ou l’enfant.
Nous avons utilisé les procédures méthodologiques standards prévues par Cochrane. Les critères de jugement principaux étaient le contrôle de l'épistaxis : saignements répétés (mesurés par la proportion de patients qui saignent à nouveau dans un délai maximal de 10 jours) et des effets indésirables importants (convulsions, événements thromboemboliques). Les critères de jugement secondaires étaient le contrôle de l'épistaxis mesuré par le temps nécessaire pour arrêter le saignement initial (la proportion de patients dont le saignement est maîtrisé dans un délai allant jusqu'à 30 minutes) ; la gravité des saignements répétés (mesurée par (a) la proportion de patients nécessitant une intervention supplémentaire et (b) la proportion de patients nécessitant une transfusion sanguine) ; la durée du séjour hospitalier et d’autres effets indésirables. Nous avons utilisé l’outil GRADE pour évaluer la qualité des données probantes pour chaque critère de jugement ; la qualité est indiquée en italique.
Nous avons inclus six ECR (692 participants). Le risque de biais global des études était faible. Dans deux études, l'administration régulière (pendant plusieurs jours) d'acide tranexamique par voie orale a été évaluée et comparée à un placebo. Dans les quatre autres études, une seule application locale d'acide tranexamique a été comparée à un placebo (une étude) et à une association d'épinéphrine et de lidocaïne ou phényléphrine (trois études). Tous les participants étaient des adultes.
L’acide tranexamique par rapport au placebo
Pour notre critère de jugement principal, le contrôle de l'épistaxis : saignements répétés (saignements répétés en l’espace de 10 jours), nous avons pu mettre en commun les données de trois études. Le résultat issu de la mise en commun des données a démontré que l'acide tranexamique présentait un avantage par rapport au placebo, le risque de saignements répétés passant de 67 % à 47 % (risque relatif (RR) 0,71, intervalle de confiance (IC) à 95 % 0,56 à 0,90 ; trois études ; 225 participants ; données probantes de qualité moyenne).
Lorsque nous avons comparé séparément les effets de l'acide tranexamique par voies orale et locale, le risque de saignements répétés avec l'acide tranexamique par voie orale a diminué de 69 % à 49 %, RR 0,73 (IC 95 % 0,55 à 0,96 ; deux études ; 157 participants ; données probantes de qualité moyenne). Avec l'acide tranexamique par voie locale, ce risque a diminué de 66 % à 43 %, RR 0,66 (IC 95 % 0,41 à 1,05 ; une seule étude ; 68 participants). Nous avons jugé la qualité des données probantes fournies par cette unique étude comme faible ; il n'est donc pas certain que l'acide tranexamique par voie locale soit efficace pour arrêter les saignements en l’espace de 10 jours en une seule application.
Aucune étude n'a spécifiquement cherché à identifier et à rendre compte de notre critère de jugement principal : les effets indésirables importants (c.-à-d. convulsions, événements thromboemboliques).
Le critère de jugement secondaire, le temps nécessaire pour arrêter le saignement initial (proportion de saignements maîtrisés en l’espace de 30 minutes), a été mesuré dans une étude dans laquelle l'acide tranexamique par voie locale a été utilisé, et aucune différence n'a été observée à 30 minutes (RR 0,79, IC à 95 % 0,56 à 1,11 ; 68 participants ; données probantes de faible qualité).
Aucune étude n'a fait état de la proportion de patients nécessitant une intervention supplémentaire (p. ex. nouveau tamponnement, chirurgie, embolisation).
Une étude sur l'acide tranexamique par voie orale a rendu compte de la proportion de patients nécessitant une transfusion sanguine et aucune différence n’a été observée entre les groupes : 5/45 (11 %) contre 6/44 (14 %) (RR 0,81, IC à 95 % 0,27 à 2,48 ; 89 participants ; données probantes de faible qualité).
Deux études ont fait état de la durée du séjour hospitalier. Il a été observé, dans une étude, une durée de séjour significativement plus courte dans le groupe recevant de l’acide tranexamique par voie orale (différence moyenne (DM) -1,60 jours, IC à 95 % -2,49 à -0,71 ; 68 participants). Dans l'autre étude, aucune donnée probante indiquant une différence entre les groupes n’a été trouvée.
L’acide tranexamique par rapport à d’autres agents hémostatiques
En regroupant les données de trois études, la proportion de patients dont le saignement a cessé en 10 minutes était significativement plus élevée dans le groupe recevant l’acide tranexamique par voie locale que dans le groupe recevant un autre agent hémostatique (70 % contre 30 %) : RR 2,35, IC à 95 % 1,90 à 2,92 ; 460 participants) (données probantes de qualité moyenne).
Effets indésirables toutes études confondues
Cinq études ont rapporté de manière générale des "effets indésirables". Dans aucune étude il n'a été observé de différence entre les groupes quant à l'apparition d'effets indésirables mineurs (p. ex. nausées et diarrhées légères, "mauvais goût" du gel). Dans une étude, un patient a développé une thrombophlébite superficielle des deux jambes après sa sortie, cependant l'étude n'a pas indiqué dans quel groupe cet événement eut lieu. Aucun "autre effet indésirable grave" n'a été signalé dans les études.
Traduction réalisée par Barbara Fowler et révisée par Cochrane France.